Analyse politique – Comme la plupart des francophiles, j’ai lu toute la collection d’Astérix, je sais où se trouve la Moselle, j’ai visité le Var et la Camargue, sans parler de Paris ou de la Vallée de la Loire. Mais, pardonnez-moi, je ne sais pas où se trouvent les chutes de Karera, parce que ma fiche de mémoire de burundais a été remplacée par celle des gaulois.
DAM, NY, AGnews, le 2 janvier 2012, "Astérix au Burundi" d'après M. Séverin Munda.
On appelle ça l’assimilation (processus de digestion d’un peuple ou d’un individu, par un autre à la fin duquel l’assimilé est démoli et devient matériel de construction de assimilant, comme les pommes de terre que nous mangeons).On m’excusera donc s’il m’arrive quelques fois d’apercevoir (est-ce un mirage ?) les cornes ailées d’Astérix ou le ventre d’Obélix sur les collines verdoyantes du Burundi et je me demande : « Y a-t-il ici des romains à combattre ? ». Et puis je me suis rappelé que c’est la mode actuelle pour les grands de faire un tour en Afrique : Tintin au Congo, le Roi Lion au Kenya, Madagascar… et pourquoi pas Astérix au Burundi ? Les événements de ces derniers temps ont mis en lumière une extraordinaire agitation des gaulois au Burundi, bien que, j’en suis sûr, La Gaule n’y soit mêlée d’aucune façon. Ce sont quelques aventuriers, j’espère, que Sinduhije et son oncle Rukindikiza, basés en Gaule, ont mis dans leur sac.
Il y a quelques semaines l’ambassadeur gaulois à Bujumbura disait que le reportage de Simonet, une ressortissante de son pays, était une « bavure ». Une bavure est une action nocive préméditée contre les autres mais qui se retourne contre les siens, ou contre les innocents. Si le reportage en question avait été une œuvre journalistique mal faite ou seulement offensante, il aurait pu dire que c’était une gaffe ; nous commettons tous des gaffes, mais nous ne commettons pas tous des bavures. S’il a dit « bavure », c’est qu’en effet il y a eu péril en la maison. Actuellement on entend par « bavure » une action militaire qui rate l’objectif et qui emporte des innocents.
Un laboratoire d’analyse a noté que cette « bavure » n’était pas un fait isolé, mais faisait partie d’une série d’autres « bavures » qui proviennent de la même direction. En les mettant sur un puzzle, il s’esquisse un projet. A l’origine, il y eut la provocation vraie ou montée de l’affaire Patrice Faye. Heureusement qu’elle a pu se résoudre en douceur ; ensuite il y a eu le ressortissant gaulois attrapé à Kirundo avec des cartons de cartouches (préparation à une action belliqueuse : je n’ose pas penser à ce qu’aurait subi un burundais avec une cargaison pareille sur une frontière française) ; puis est entrée dans la danse la demoiselle Simonet, jouant aux « Jeanne d’Arc » dans les plateaux de Minembwe. Le reportage de Simonet était en effet une action militaire ; il constituait entre autres une diversion pour l’armée burundaise, qui devait attendre l’ennemi venant de l’ouest, tandis que le plan était d’attaquer de l’Est (Cankuzo). Le débarquement en Normandie !
Simultanément, le journaliste Ruvakuki, travaillant pour une radio gauloise, était en train de danser avec les rebelles en Tanzanie.
Et enfin, pour clôturer tout, un historien gaulois, Jean Pierre Chrétien donne une conférence où en substance il dénigre l’organisation politique de la monarchie burundaise pilotée par les ganwa (en lui préférant celle du Rwanda où gouvernaient les Tutsi Hima). La transposition de son discours sur les réalités politiques actuelles du Burundi et du Rwanda, crève les yeux. Sinduhije et les siens enseignent en effet que le Rwanda est mieux gouverné que le Burundi (et je me demande pourquoi ils ne vont pas vivre là). Le discours de J.P. Chrétien est à mettre en relation avec l’interview faite par Simonet au Munyamulenge, qui semble prétendre au trône du Burundi. Il prépare l’opinion à l’arrivée du Munyamulenge et donne la justification de l’action militaire. Voilà la séquence des bavures : provocation- préparation- action militaire – justification.
Jean Pierre Chrétien est bien connu pour son faible envers les hima, et c’est son droit. Ils lui ont permis d’émerger comme historien, et lui il les a payés en réduisant l’Histoire des Peuples de l’Afrique Centrale en une histoire des hima. Mais leur fournir une justification historique pour envahir le Burundi à partir du Congo, c’est aller vite en besogne. D’abord, contrairement à certains pays, les burundais de toutes les ethnies (hutu, tutsi et twa) ont fait un pas de géant, avec les Accords d’Arusha. C’est un compromis qui avantage tout le monde, et en particulier les tutsi ; ceux-ci seraient vraiment peu intelligents s’ils voulaient retourner en arrière, avec la possibilité de tout gagner, et le risque très probable de tout perdre. Ensuite, comme dit l’adage dont je me souviens encore, « Le Burundi ronfle tout en étant éveillé ». Si les burundais restent unis comme d’antan, il est difficile de nous prendre par surprise. N’en déplaise à J.P. Chrétien, le Burundi d’avant la colonisation était très bien organisé et il était une puissance militaire. Il avait sa sidérurgie pour fabriquer les armes et les autres instruments de la vie quotidienne. En témoignent les guerres « puniques » que se sont livrées le Rwanda et le Burundi à l’époque avec de grandes victoires de part et d’autre, et qui sont restées gravées dans la mémoire collective. Ces deux pays s’aimaient du même amour qui liait dans le passé la France et l’Allemagne. Notre ville et province de Kirundo qui signifie « grand cumul », prend le nom d’un immense tas de trophées (testicules) taillés sur les armées rwandaises vaincues par le roi du Burundi. Les Monts Shinge et Rugero de Kirundo virent d’aspres combats entre les deux armées, mais le roi burundais les prit tous les deux, d’où l’expression « kubura shinge na rugero », qui signifie perdre l’un et l’autre. Les burundais ont affronté sans complexe les allemands entre 1898 et 1903. Si le Burundi avait eu les mêmes armes, je crois que les colonisateurs n’auraient jamais mis les pieds sur notre sol. Même les esclavagistes qui disposaient seulement des mousquets, n’y ont pas pénétré. La vrai désorganisation du royaume commence avec la colonisation, parce que les rois perdent leur pouvoir de décision au profit des Allemands, puis des belges. A J.P. Chrétien, je dirais de ne pas s’inquiéter de la taille de nos gouvernants, mais bien des siens : à partir de Napoléon jusqu’à maintenant on compte beaucoup de grands hommes politiques gaulois, mais très courts de taille, aux antipodes de la silhouette élancée qui plait beaucoup à notre historien complexé ; peut-être faut-il envoyer plutôt un Munyamulenge à Lutèce (Paris) ? Mon ami Astérix, n’est-il pas aussi petit qu’un « bushman » ?
Les Burundais sont un peuple pacifique, dans les conditions normales. Et ils aiment la paix. Mais si quelqu’un les provoque, qu’il sache que quelques trophées lui seront arrachés pour un créer un autre « Kirundo ». Avec la guerre civile qui a duré quinze ans, beaucoup de burundais savent manier les armes. Si le pays est en péril, avec une étincelle de nationalisme, des centaines de milliers de combattants peuvent surgir en un instant pour le défendre. Comme au temps des Rois Lions (Ntare).