Interview : Pourquoi la candidature de Pierre Nkurunziza est cruciale même si le CNDD-FDD gagnerait les élections avec un autre candidat ?
Propos recueillis par M. Yves Bukuru, pour Révélation – https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1386074645046465&id=100009318276896&fref=nf
Bujumbura, le 20/03/2015 (Révélation). Joint au téléphone depuis Nairobi, un ancien officier militaire sud africain, expert en études stratégiques et qui a participé activement dans les négociations en vue de la signature des accords de cessez-le feu au Burundi, s’exprime sur des enjeux divers en rapport avec les élections de mai-août 2015, qu’il qualifie de “tous les dangers” surtout pour le parti CNDD-FDD, ancien mouvement rebelle au pouvoir depuis 2005.
Il préfère garder l’anonymat et avance comme raison le fait qu’il révèle des secrets de stratégie qui pourraient compromettre ses relations dans les milieux d’affaires burundais, pour la plupart des personnalités influentes au sein de ce qu’il appelle “la coalition anti-CNDD-FDD”, qui domine tous les secteurs de l’économie du Burundi.
Rev: Comment voyez-vous le paysage politique burundais ces dernières années?
Depuis que le CNDD-FDD a accédé au pouvoir en 2005, le paysage politique burundais s’est polarisé en plusieurs coalitions. D’un côté, il y a la coalition composée de partis politiques d’opposition, les syndicats et la société civile, qui disposent d’une arme redoutable: les médias et les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, toute la population, que ce soit à Bujumbura ou à l’intérieur du pays, écoute la radio RPA, qui dispose des infrastrctures et des équippements puissants capables de couvrir le réseau national et même au-delà. Lorsque cette coalition a un message à passer, il passe facilement à travers le des ondes que le CNDD-FDD ne maîtrise pas, parce qu’il n’a jamais compris son importance. Un pouvoir qui lui échappe totalement.
D’un autre côté il y a le CNDD-FDD, un parti populiste bien structuré, organisé de la base au sommet. De ce fait, il parvient à avoir la maîtrise du terrain et mobiliser des milliers de foules du monde rural en très peu de temps. Cela lui donne une très grande longueur d’avance car c’est sur terrain que les militants profitent pour dispenser les bonnes oeuvres à la population. C’est cela qui lui donne une force électorale sûre par rapport à la coalition que je viens d’invoquer, qui a la maîtrise des ondes et des réseaux sociaux, mais qui ne peut offrir rien d’autre à la population.
Or, le monde rural englobe à lui seul plus de 90% de tout l’électorat.
Rev: Vous oubliez l’influence de l’Eglise catholique dans tout cela, et cette dernière a déjà pris position par rapport à la question qui divise actuellement la classe politique burundaise?
L’Eglise catholique n’a plus la même influence que celle qu’elle avait il y a quelques décennies, comme du temps de Bagaza par exemple. Depuis quelques années, le monde religieux a perdu beaucoup sa crédibilité d’antan avec des scandales divers notamment sur l’homosexualité pratiquée par le clergé catholique dans le monde entier, jusqu’au Vatican. Les prêtres ne bénéficient plus de la même estime que celle qu’ils avaient il y a vingt ans. En Afrique du Sud par exemple, les collines et les cités regorgent d’enfants nés de relations d’adultère entre les hommes de l’Eglise avec des jeunes filles, souvent des écolières, sans parler les ménages brisés par certains hommes de l’Eglise catholique. Tout cela fait que l’Eglise peut vouloir donner des leçons de politique ou de morale, sa voix ne porte plus aussi loin qu’elle l’était avant.
Rev: Vous connaissez la question qui divise actuellement la classe politique burundaise. Quel est votre avis et appréciation par rapport aux polémiques sur un autre mandat de Pierre Nkurunziza?
Sur le plan du droit, Pierre Nkurunziza a droit à un autre mandat en vertu de l’article 96 de la constitution et de la confusion sciemment entretenue par le législateur à l’article 302. Ça, tout le monde le sait y compris les chancelleries occidentales. Même les Etats Unis le savent mais préfèrent aborder le problème sur un autre plan. Leurs représentats ou émissaires n’abordent jamais cette question sur le plan du droit, mais sur le plan politique. Chez eux, le principe de deux mandats est déjà consacré dans la constitution.
Sur le plan politique, c’est par rapport à ces appels à la violence entretenus par la coalition anti-CNDD-FDD, à savoir l’opposition politique, la société civile et les médias… Sans oublier bien sûr l’Eglise Catholique qui les as toujours emboité le pas. Les conséquences sont difficiles à prédire.
Rev: Les Etats Unis craignent sans doute qu’il puisse y avoir un génocide comme celui de 1994 au Rwanda?
Cette crainte n’est qu’un pretexte pour certains activistes des droits de l’homme qui préconisent une situation apocalyptique pour le Burundi. Mais tout le monde s’accorde à dire que la violence qui résulterait de ces appels à la violence ne peut pas avoir la même ampleur génocidaire que celle qu’a connu le Rwanda. Même s’il y a des politiciens qui voudraient carrément que le génocide rwandais soit réédité au Burundi pour en tirer les mêmes “gains politiques” post-génocide.
Rev: Quels gains politiques? Un gouvernement de transition élargie à toutes les coalitions, incluant peut-être des religieux?
Du côté de la coalition anti-CNDD-FDD, les choses sont claires, et ils le disent dans certaines réunions secrètes. Ce n’est pas la « peau » de Nkurunziza qui les intéresse pour autant, ils veulent ni plus ni moins le démantellement d’un système que Nkurunziza incarne à double titre. En tant qu’orphelin de 1972 d’abord, Nkurunziza est aujourd’hui le leader d’un ancien mouvement rebelle aujourd’hui au pouvoir, qui s’apprète à réécrire l’histoire du Burundi avec la Commission Vérité Réconciliation (CVR). Une sorte de revanche contre l’histoire.
Quant aux religieux dans ce gouvernement de transition, l’Eglise catholique s’est effectivement prononcée politiquement contre la candidature de Pierre Nkurunziza. Mais encore une fois, très peu de gens savent qu’en 1972, une quarantaine de prélats Hutu ont été froidement assassinés, sans compter des centaines de soeurs et de catéchistes, tous de l’ethnie hutu. Leurs confrères Tutsi étaient là et la plupart sont encore vivants. Il n’y a jamais eu de deuil en mémoire de leurs frères et soeurs assassinés.
L’Eglise Catholique, y compris le Vatican, n’a jamais condamné ces barbaries. Les pays occidentaux ont continué les différentes coopérations, y compris militaires, avec tous les régimes qui sont à l’origine de ces tueries, qualifiées de génocide par des rapports d’expertise commandités par ces mêmes pays occidentaux. Ces coopérations se sont poursuivis jusqu’au moment où le CNDD-FDD est arrivé en 2005, de façon imprévisible et contre toute attente, comme un emprêcheur de danser en rond. C’est cela qui explique toutes les misères du monde qu’a le CNDD-FDD pour gouverner : ce n’est pas l’interlocuteur qu’ils auraient voulu.
Tout ce tapage autour de la candidature de Pierre Nkurunziza n’est donc qu’un prétexte qui cache un sentiment d’embarras chez plusieurs acteurs, pas seulement burundais, qui ont une responsabilité partagée par rapport aux différents drames qui ont frappé ce pays depuis l’indépendance, responsabilité que la CVR pourrait mettre à nue.
Ce n’est donc pas la « peau » de Nkurunziza qu’ils veulent, mais tout un système qu’ils tiennent à démolir pour installer un autre ordre nouveau.
Un gouvernement de coalition certes dans un premier temps, mais seulement comme un cadre pour pouvoir exiger un “système de rotation” au sommet de l’Etat avec des “mandats rotatifs” entre des Présidents Hutu et Tutsi, sans le CNDD-FDD bien sûr puisqu’il aura été disqualifié politiquement et leurs leaders éventuellement trainés devant la Cour Pénale Internationale de la Haye.
Ce mode de gouvernance est partagé par certains Hutu comme Agathon Rwasa qui aurait dèjà signé “un pacte social” avec les partis politiques d’obédience tutsi. Sa récente tentative de jumeler son parti FNL en coalition avec l’UPRONA entre dans la droite ligne de ce “pacte social”. Le système rotatif ne viendrait que pour mettre en oeuvre ce pacte au sein d’un seul parti UPRONA-FNL. Ceux qui disent que la coalition Uprona-Fnl est impossible parce que “contre nature”, se trompent.
Voilà pourquoi la candidature de Nkurunziza est cruciale même si le CNDD-FDD gagnerait les élections avec un autre candidat.
Rev: Actuellement est-ce que le CNDD-FDD a une marge de manoeuvre pour éviter que tout cela puisse arriver?
Oui le CNDD-FDD a encore une possibilité d’éviter sa propre disparition: gagner les élections de mai-juillet 2015. Mais pour cela il faudra que ses dirigeants et cadres se mettent ensemble, oublient leurs problèmes et rivalités internes et présentent Pierre Nkurunziza comme leur candidat unique aux présidentielles de juin 2015. De toute façon, ce n’est pas à quelques jours du compte à rebours des élections qu’on invoque les problèmes internes au parti. Ils ont eu dix ans pour en discuter amplement, s’il y a des griefs que certains reprochent à Nkurunziza ils peuvent encore attendre cinq ans.
Malheureusement, une mauvaise décision risque de surprendre désagréablement même ceux qui, actuellement au sein du CNDD-FDD, aspirent à le remplacer immédiatement puisque c’est tout le système qui est visé par les anti-CNDD-FDD.
Rev: Mais si la candidature de Pierre Nkurunziza est retenue, il y aura alors ces violences et s’il y a des tueries le résultat est le même: le CNDD-FDD sera rayé de la liste des partis politiques?
Le phénomène d’appels à la violence qu’on observe actuellement au Burundi a été observé au Rwanda à partir de 1990 et a abouti au génocide de 1994. La différence est que, au Rwanda c’est la radio d’Etat et les leaders des partis politiques pro-gouvernementaux, qui faisaient ces appels à la violence. La violence a effectivement eu lieu et a dégénéré en un génocide.
Contrairement à ce qui s’est passé au Rwanda, au Burundi ce sont les leaders de la coalition composée des partis de l’opposition, de la société civile et les médias qui leur sont afficilés, qui appellent à la violence et menacent de lacher des foules dans la rue si la candidature de Pierre Nkurunziza est retenue par la CENI. Ceux qu’ils souhaitent est évidemment un génocide ou tout au moins des tueries à grande échelle qu’ils voudraient imputer au parti CNDD-FDD pour le faire disqualifier politiquement.
Ils oublient cependant qu’en matière de droit pénal ces appels à la violence constituent “un élément de préparation et de planification” qui les rend entièrement responsables de tout action post futurum. Je vous apprend d’ailleurs à ce sujet que les leaders de cette coalition anti-Nkurunziza ont déjà été mis en garde par des gens à qui, en général, ils ont l’habitude de prêter une oreille attentive.
En tout cas ce n’est pas Pacifique Nininahazwe, Agathon Rwasa, Léonce Ngendakumana, Alexis Sinduhije, etc. qui diront qu’ils ne savent pas de quoi je parle.
C’est pourquoi je crois fermement qu’il n’y aura pas de violence, encore moins un génocide. Ils ont plutôt intérêt, aussitôt que le nom de Pierre Nkurunziza sera présenté par son parti, à lancer des appels au calme pour éviter que la violence qu’ils ont annoncée eux-mêmes ne puisse avoir lieu, mais plutôt que les manifestations se fassent dans le calme. Et s’ils ne le font pas, ils seront entièrement responsables de tout ce qui en adviendrait.
Rev: Mais s’ils ont déjà été avertis de leur culpabilité pourquoi aujourd’hui ils continuent à brandir l’arme de la rue?
[rires]. Ce n’est rien d’autre qu’une stratégie pour faire peur et semer le syndrome de culpabilité chez leur adversaire dans l’espoir qu’il se rétracte et présente un autre canfidat autre que Nkurunziza. Je crois d’ailleurs qu’ils ont presque réussi parce qu’aujourd’hui les pressions que subissent Nkurunziza pour le convaincre de ne pas se présenter proviennent plus de l’intérieur, au sein de son propre parti, que de l’extérieur.
Rev: Mais d’un autre côté Pierre Nkurunziza pourrait éviter cette violence lui-même en ne se présentant pas comme candidat?
Si la Cour Constitutionnelle tranche et que la lecture du droit lui donne gain de cause, quel intérêt aura-t-il alors de se priver d’un avantage que lui donne la constitution? Mais si la Cour Constitutionnelle tranche autrement, alors il n’aura pas d’autre choix que de se retirer.
Tout le monde s’accorde à dire de façon unanime que Pierre Nkurunziza aura été le premier leader politique qui a pu se démarquer de façon significative pour ne pas dire exceptionnelle, en matière de la paix, la cohésion sociale et les bonnes oeuvres. Ses opposants rétorquent bien sûr qu’il a échoué sur le programme qu’il avait lui même annoncé: la tolérance zéro en matière de la corruption et les malversations économiques. C’est exact. Mais ils oublient que le Burundi est un pays dominé à plus de 90% par le monde rural et que Nkurunziza n’a jamais manqué une occasion pour être avec ces gens-là.
Les indicateurs objectivement vérifiables pour mesurer la corruption et les malversations économiques souvent utilisés pour juger si un régime est corrompu ou non ne peuvent pas produire d’effets devant un électorat du monde rural en campagne électorale. Ce qui intéresse le monde rural, c’est beaucoup plus les bonnes oeuvres réalisées sur terrain que ces histoires de corruption. Un électeur du monde rural se souviendra davantage que sa femme a bénéficié d’une césarienne gratuitement plutôt que ces histoires de vols des « Falcon 50 » qu’une radio peut répéter à longueur des journées.
Rev: Pour terminer, vous avez sans doute appris que l’épouse d’Agathon Rwasa vient d’échapper à un attentat et qu’il pointe du doigt le pouvoir CNDD-FDD?
[loud laugh]. I perfectely know Rwasa and what he is capable of doing, unfortunately the worst. I am rather surprised that this poor woman has not died on the spot because Rwasa never pull it off…
Propos recueillis par Yves BUKURU. /REV/