(Hommage rendu par le romancier rundi  Daniel Kabuto à l’artiste  Matata qui vient de nous quitter …) Derrière l`hommage à Jean Christophe, une foule d`interrogations! Les larmes de désespoir coulaient à flots sur les visages d`une foule innombrables d`amis et de fans venus accueillir la dépouille de la vedette belgo-burundaise décédée en Afrique du Sud des suites de maladie. « Adieu l`ami, salut l`artiste » titrait quelque journal sur la toile. A Bujumbura, les hommages s`étaient multipliés depuis l`annonce de la disparition de l`artiste. Dans les radios, les compositions de Jean Christophe envoûtaient toujours l`auditoire comme pour rappeler que sa voix n`allait jamais s`éteindre. Jean Christophe Matata est depuis le 3 janvier dernier devenu un grand frère qui vient de nous devancer dans l`autre vie et à qui toute une nation trouve juste de dire : « Grand merci. » Véritable prince des muses, son étoile n`a fait que rejoindre la constellation éternelle. Que son âme repose en paix et que la terre des ancêtres qu`il s`était choisis soit légère à son corps!

 

Un hommage plus que national

Jean Christophe Matata, de père congolais et de mère rwandaise était né à Kinama et avait grandi à Kamenge, deux zones périphériques au nord de la capitale burundaise. Ses compositions musicales étaient très appréciées dans la région des Grands Lacs mais l`artiste avait acquis une rénommée internationale bien avant son exil en Belgique. Il laisse aux mélomanes une discographie à la fois riche et variée. Le public garde en mémoire ses chansons comme « Amaso akunda » (les yeux amoureux ne voient pas bien), « Mukobwa ndagowe » (les plaintes de la femme trahie et délaissée), « Ni Nyagasambu rirarema » (dénonce les trahisons des filles). Jean Christophe Matata se sera élevé contre les barbaries dues aux rivalités entre Hutus et Tutsis derrière les ambitions démesurées des hommes politiques (il chantait : « Hutus et Tutsis nous sommes des frères »). Il se voulait rastaman et aura vécu très attaché à la paix, à la culture de tolérance.

C`est surtout devant un grand défenseur de la culture burundaise que le ministre Jean Jacques Nyenimigabo s`est incliné. De Belgique, du Canada, du Rwanda et d`autres nationalités très attachées à la personnalité et au talent de Jean Christophe Matata, pas mal d`amis ont fait le déplacement pour accompagner l`artiste à sa dernière demeure.  

Ce mercredi, comme un grand serviteur de la République du Burundi mort au combat, le cercueil de Jean Christophe Matata était couvert d`un drapeau national et une foule nombreuse s`était massée tout le long de la route reliant l`aéroport au centre ville. Au musée vivant où s`organise toujours le deuil jusqu`à ce samedi, c`étaient beaucoup d`émotions et un grand hommage national à un fils du peuple qui se sera débattu courageusement et dignement pour gagner sa place au panthéon burundais. 

Ce jeudi 13 janvier 2011, le corps de Jean Christophe a été porté en terre au cimetière de Mpanda après une messe à la cathédrale Regina Mundi et d`autres témoignages émouvants en guise d`oraisons funèbres dus aux grands héros de la nation. Il fallait noter la présence de l`Ombudsman honorable Mohamed Rukara, du ministre de l`intérieur et d`autres membres du gouvernement du Burundi, des ambassadeurs de Belgique et du Rwanda.  
Une mort subite au terme d`une mission accomplie 

Bien que la communauté des musiciens du Burundi, la famille biologique et d`innombrables fans de l`artiste décédé vivent mal le trépas qualifié de prématuré, les analystes s`accordent pour dire que le disparu peut partir avec la fierté d`avoir bien accompli sa mission sur terre. Il aura contribué à faire évoluer la musique burundaise, à l`enrichir en montrant par ses dernières prestations en Afrique du Sud que les artistes pouvaient s`exporter et vendre le produit de leur travail tout en gardant des attaches dans la mère patrie. Point n`est besoin de préciser que Jean Christophe Matata venait de créer à Bujumbura un studio de production et de promotion des artistes burundais. Sa disparition a pris tout le monde de court car il était toujours plein d`ambition et de projets. Il laisse un immense héritage à la succession et naturellement d`immenses défis à relever aussi bien pour les artistes que pour les pouvoirs publics. Son génie aura été de comprendre l`essence de son époque et de poser les jalons de la révolution de la musique burundaise. 

Un hommage qu`accompagne une foule d`interrogations!

Bien qu`il ait passé toute sa vie à créer, divertir et rendre consciencieux ou heureux ses contemporains de par le monde, il aura fallu élan exceptionnel de solidarité pour rapatrier sa dépouille et lui organiser des obsèques dignes de sa contribution au développement culturel du pays. Par manque de culture consumériste et surtout de protection des œuvres des artistes, Jean Christophe Matata serait difficilement parvenu à vivre de son métier au bercail. Les derniers réglages de ses obsèques interpellent les Burundais et le Gouvernement pour qu`il y ait une meilleure culture de respect et de promotion des artistes. Des lois sont certes en cours d`élaboration ou d`exécution mais l`amer constat est que la galère et piraterie condamnent encore les artistes à tirer le diable par la queue ou à enflammer les foules par des compositions à la gloire des partis politiques ou des dirigeants. 

L`occasion s`avère alors opportune pour encourager les Burundais et les habitants du Burundi surtout dans les milieux aisés à ne plus assister avares et amorphes aux prestations dans les bars comme au restaurant Chez André, au bar Tempêtes, Club 144 etc. où les artistes comme Steven Sogo, Riziki et autres stars montantes se trémoussent, s`époumonent et démontrent leur talent pour notre grand plaisir. C`est en soutenant matériellement nos artistes que nous leur permettrons désormais de gagner bien leur vie, de déployer leur talent pour conquérir d`autres horizons comme de véritables ambassadeurs de la bonne humeur. 

Ces cris de détresse vous viennent également de nous autres écrivains, cinéastes, comédiens, dramaturges ou poètes dont les œuvres passent souvent inaperçues, notre malheur étant de chérir une nation des héros uniquement dignes d`hommages posthumes. Si rien ne change, un jour nos amis, fans ou héritiers éconduiront les couronnes de fleurs des acteurs politiques en les rendant responsables de nos calvaires et surtout de nos fins tragiques comme du temps de Rembrandt ou Van Gogh aux Pays-Bas.  

En attendant, il convient de faire un clin d`œil aux autorités politiques pour qu`elles abandonnent l`habitude de dédier les avenues et rues à des mois de l`année alors que bien des familles seraient heureuses de voir quelque rue baptisée d`un nom d`un héros national comme Matata.


Bujumbura, 13 janvier 2010
Daniel KABUTO, écrivain.

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