M. Salvator Sunzu, journaliste
M. Salvator Sunzu, journaliste

Le journaliste Burundais, M. Salvator Sunzu, dénonce la manipulation de certains médias au Burundi autour des événements qui ont suivi le putsch d’octobre 1993. Il parle d’un “scandaleux parti pris des médias burundais”. Selon M. Salvator Sunzu, au sujet de Feu Melchior NDADAYE, “Les médias devraient l’aider à retrouver son sourire”

 

Quand mensonge mille fois répété se transforme en vérité

Par Salvator Sunzu, journaliste

C’était un homme hors du commun. De sa taille moyenne se dégageait une imposante grandeur d’âme et d’esprit. Et surtout une intelligence vive. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. La toute dernière fois, c’était lors de sa 1ère conférence de presse organisée dans les enceintes de la télévision. A l’époque, j’étudiais en Belgique. Au cours des vacances d’été 1993 à Bujumbura, il m’appela pour des consultations sur l’organisation de cette conférence de presse à la quelle je fus invitée. Elle se déroula merveilleusement, au grand dam de certains journalistes qui s’étaient manifestement ligués pour lui mener une vie dure.

Mais il les désarma dès ses premières réponses. Ils prirent rapidement conscience de l’intelligence, de la sagesse de l’homme et de sa joute oratoire doublée d’une clarté “déconcertante”. La conférence fut en tout cas un grand succès. Pour moi le Burundi venait de se doter d’un Chef d’Etat. Dans la nuit du 20 au 21 octobre, de ma chambre de Blocry à Louvain la Neuve, je fus réveillé par mon collègue Germain Niragira, qui m’apprit la triste nouvelle. C’était comme si le ciel était tombé sur nos têtes.

Assumer le putsch et ses conséquences.

La même impression revient à chaque anniversaire de ce triste événement. Elle vient de la manière dont les médias locaux gèrent avènement. Ils déchargent pratiquement les putschistes. De l’ignoble assassinat de Ndadaye, et sans le moindre effort d’analyse ou de recherche sur les éventuels putschistes (car cela est aussi une des tâche s de journalistes), ils passent aux massacres des tutsis, “au génocide des tutsis” pour mieux les paraphraser ; ils opposent la mort de Ndadaye au massacre de Tutsis qui seraient les seuls à avoir été tués victime d’un prétendu “génocide” survenu après le putsch. Il ne s’agit ni moins ni plus que d’une stratégie visant à protéger les auteurs de ce coup d’Etat ignoble.

Des tutsis (et pas tous heureusement) sont morts. Ceci est une certitude. Morts et tués par des Hutus (et pas tous les Hutus tout aussi heureusement). Des Hutus n’ont pas pu se tenir tranquille face à une imposture sans nom. Ils s’en sont pris à des innocents. Et dans le contexte de l’époque, pareille dérapage était prévisible. Il serait surprenant que les putschistes eux-mêmes n’y aient pas pensé. Il ne s’agit pas ici de légitimer les massacres des tutsis. Mais de confirmer que ces massacres furent une conséquence directe, très fâcheuse mais prévisible de l’acte insensé des putschistes. Qui pourrait ne pas prédire ce qui se serait passé si les blancs sud africains avaient attenté à la vie de Nelson Mandela au lendemain de sa victoire ? Ce serait ne pas connaître l’atmosphère électrique des victoires populaire, en Afrique du Sud comme au Burundi.

Les putschistes de 1993 le savaient très bien. La logique serait donc qu’ils assument le putsch et ses conséquences. Même si, du goût de certains observateurs, ils seraient entrain de reprendre le poil de la bête. N’oublions pas qu’ils ont démis de leurs fonctions toutes les autorités administratives provinciales et communales. Pour la plupart des médias, les putschistes n’ont aucune responsabilité dans la morts des tutsis en 1993. Pareille positionnement est absurde, mais pas innocente.

Comme l’écrivait l’autre, “l’histoire fournit pléthore d’exemples où des journalistes ont pu, retranchés derrière leur micro ou leur plume, …manipuler volontairement l’information pour servir de stratégie de guerre, …ou encrer, de manière plus ou moins consciente et perverse, des scissions profondes au sein d’une société”. C’est qui semble avoir été le cas. Malheureusement.

Quand mensonge sans cesse répété devient vérité.

La deuxième grosse anomalie relève d’un compte particulièrement macabre et de l’identité ethnique des morts. De ces derniers, les hommes politiques, la société civile, sans parler des médias qui nous intéressent particulièrement, n’auront retenu que les séminaristes de Buta, les tueries de Bugendana, des élèves de Kibimba. Ils sont autour de cinq cent sur des centaines de milliers de morts, et occupent d’impressionnants espaces médiatiques.

Année 1996 (Guerre Civile Burundaise): La  question est pourquoi TEZA et BUGENDANA  ?
Année 1996 (Guerre Civile Burundaise): La question est pourquoi TEZA et BUGENDANA ?

Rien n’est réservé à la centaine d’habitants de Gasenyi-Kamenge égorgés le jour de prestation de serment de Ntibantunganya Sylvestre. Aucun mort sur l’épuration ethnique de la ville de Bujumbura savamment conduite par des hordes de tueurs appuyés par une armée qui se réclame républicaine. Rien sur les paysans fauchés dans le sillage des massacres de Buta. Buraza, personne ne connaît. Les tirs à bout portant sur la dizaine d’élus du peuple n’a attiré l’attention de personne. Rien des destructions systématiques des maisons à Bujumbura. Grâce à l’assiduité de leurs anciens collègues, les dizaines d’étudiants massacrés par leurs collègues dans les enceintes de l’Université du Burundi ont commencé à bénéficier de quelques lignes. Même Robert Kroueger, le diplomate américain qui assisté en direct et dénoncé les massacres d’innocent n’a jamais été sollicité pour témoigner.

Ce n’est pas un oubli. Il s’agit d’une stratégie de repli sur soi, de l’écoute et de dramatisation de sa seule souffrance tout en prenant soin d’être aveugle et sourde à la souffrance des autres. Même perverse, cette stratégie peut porter des résultats. Des résultats allant parfois au-delà de toute espérance. Car aujourd’hui, il ya risque que la conscience collective n’ait  retenu que ce que les médias nous a distillé à longueur de journées et d’années. Les spécialistes de la manipulation le savent si bien : un mensonge sans cesse répété se transforme en vérité. Comme ils savent pertinemment qu’un peuple qui ne retrouve son unité que dans le malheur et se déchire dès le premier mirage d’espoir est un peuple sans lendemain.

Chaque jour qui passe voit l’espoir démocratique qu’avait suscité Melchior Ndadaye s’éloigner. L’homme que j’ai rencontré ne méritait ni le traitement lui infligé le 21 octobre 2013, ni celui d’aujourd’hui. Les cérémonies, lés messes, les gerbes de fleurs ne peuvent à elle seules suffire. Il suffit de restituer la vérité, rétablir et renforcer la démocratie pour laquelle il est mort pour que, des cieux d’où il nous observe, il puisse retrouver son sourire.

News Reporter