|
REPUBLIQUE DU BURUNDI REPUBLIKA YUBURUNDI Conseil National pour la Défense de la Démocratie Inama yIgihugu Igwanira Demokarasi Forces pour la Défense de la Démocratie Ingabo zigwanira Demokarasi DOCUMENT N° 5 Profil de la société burundaise de laprès-guerre ou esquisse de la philosophie politique du CNDD-FDD
Commission Permanente dEtudes Politiques (COPEP) Juillet 2001 "Considérant qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression, (...)" (Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Préambule, paragraphe 3)
Table des matières
Liste des tableaux Tableau 1. Compétences décentralisables et leur répartition entre les trois niveaux de pouvoir Liste des figures Figure 1. Les principaux acteurs du système de production à léchelle nationale. Cas dun système idéalement décentralisé : les relations mutuelles des acteurs sont symétriques Figure 2. Lorganisation de ladministration territoriale du Burundi progressivement mise en place par les régimes militaires tutsi Figure 3. Proposition dune nouvelle organisation administrative du territoire burundais Figure 4. Acteurs, objectifs, stratégies et technostructures daccumulation dans lorganisation et la dynamique des rapports sociaux relatifs à la mobilisation, à la transformation et à la distribution des ressources matérielles Figure 5. Esquisse globale du projet de reconstruction socio-économique du Burundi préconisé par le CNDD-FDD
La paix et le respect des droits de la personne humaine, en particulier du droit à la vie, à la dignité et à la liberté, sont les aspirations premières du peuple burundais surtout en ces moments difficiles de guerre civile. La réponse à ces aspirations viendra des processus de négociation de paix, notamment celui dans lequel le CNDD-FDD est profondément impliqué en vue de sortir du conflit actuel. Le profil institutionnel de lEtat burundais qui garantira ces droits et libertés dans laprès-guerre sera en effet déterminé par un traité de paix assorti dun cessez-le-feu mettant un terme définitif à la guerre civile. Sur le plan intérieur, ce profil sera négocié de façon à être en conformité avec le respect intégral des droits de lHomme et des principes de la démocratie, notamment le principe de la compétition loyale pour accéder au pouvoir et celui de la séparation des pouvoirs dEtat : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Tandis que sur le plan extérieur, le projet dintégration sous-régionale des pays des Grands Lacs doit être consensuellement précisé en réévaluant tous les arrangements réalisés dans le contexte hégémonique de lempire hima depuis 1986. Tel quil est énoncé et explicité par le titre en couverture, lobjet de cette note se situe en aval des changements qui seront logiquement amenés par un traité de paix comme lordre constitutionnel de départ vers la reconstruction nationale, la réforme des forces de défense et de sécurité, la levée de limpunité, la réforme de la magistrature, le retour des réfugiés, etc. Cette note a donc pour but de porter à la connaissance de tous le dessein du CNDD-FDD pour le Burundi de laprès-guerre. Ce dessein comprend deux volets : un volet politique qui est la démocratie décentralisée et un volet économique, social et culturel qui fixe les grandes orientations de la reconstruction nationale. Daprès le CNDD-FDD en effet, le peuple burundais a besoin avant tout dune méthode foncièrement inclusive ou participative de conception et de mise en uvre des politiques publiques et des politiques de développement. Le principe le plus approprié en la matière est celui de la subsidiarité, cest-à-dire un partage judicieux des responsabilités entre tous les acteurs politiques, économiques et sociaux : organes centraux de lEtat, administrations régionales, administrations locales, entreprises aussi bien publiques que privées, associations diverses et particuliers. Son application aura sûrement des effets bénéfiques, non seulement sur la gouvernance et sur le développement, mais aussi sur le processus ô combien crucial de réconciliation nationale. Au-delà de cette méthode de rationalisation de lactivité politique, qui consacre la participation des partis, des associations et des individus comme acteurs du développement en leur permettant de prendre part non seulement aux processus qui débouchent sur les décisions du cours de leur vie mais aussi aux processus des projets qui concrétisent ces décisions, le peuple burundais a besoin aussi dune vision prospective suffisamment rassurante sur la reconstruction nationale. Les options fondamentales définies en la matière par le CNDD-FDD sont clairement orientées vers le "développement humain total ou intégral" dans le sens donné par le PNUD à ce concept depuis 1990 , cest-à-dire un développement centré sur lHomme et articulé -(1) sur la croissance économique en termes de gain de productivité et délargissement subséquent des potentialités du système de production-consommation ; -(2) sur la justice sociale ou légalité des chances pour tous en termes daccès à ces potentialités croissantes du système de production-consommation et -(3) sur la durabilité de toute action entreprise en ce sens que laccès à ces potentialités doit être assuré non seulement aux générations actuelles, mais aussi aux générations futures. En dautres termes, le renouvellement de toutes les formes de capital (le capital matériel, le capital humain et le capital naturel) doit être garanti. Compte tenu de ces exigences, le dessein de reconstruction nationale conçu par le CNDD-FDD sappuie sur trois pôles structurels de transformation sociétale : louverture du système éducatif moderne à tous les citoyens burundais, le développement de lesprit dinitiative sous-tendu par un système populaire dépargne et de crédit, et enfin la modernisation de la gestion du territoire.
1.1. Le principe de participation citoyenne : la subsidiarité ou la décentralisation Après plus de trois décennies dun "centralisme démocratique" poussé jusquà labsurdité par les régimes militaires tutsi en usant le parti unique UPRONA comme caisse de résonance, le peuple burundais a besoin dêtre réhabilité dans ses droits politiques fondamentaux et dans ses capacités créatives. Cette réhabilitation passe tout naturellement par le principe de subsidiarité, cest-à-dire un partage judicieux des responsabilités entre tous les acteurs politiques, économiques et sociaux : organes centraux de lEtat, administrations régionales, administrations locales, entreprises aussi bien publiques que privées, associations diverses et particuliers.Le principe de subsidiarité est une expression relativement récente ; elle a été popularisée par les réformes politiques européennes des trente dernières années, notamment la décentralisation française des années 1982-1986. Mais lidée dune autorité subsidiaire est très ancienne car, déjà au quatrième siècle avant Jésus-Christ, elle est très prégnante dans larticulation interne de la société décrite par Aristote. * * * Acculé par les ruines du "centralisme militaire totalement discrédité, brutal, corrompu et strictement opportuniste", le peuple burundais est depuis quelques années en lutte pour une démocratie décentralisée, aristotéliciennement organisée, non seulement pour résorber toutes les haines ethniques et régionales accumulées sous les régimes militaires tutsi, mais aussi pour libérer lénergie, linitiative et la créativité individuelles et collectives en remettant les vertus -rien que les vertus- dubushingantahe au centre de lactivité politique. 1.2. Les effets attendus de la décentralisation sur le développement et sur la gouvernance 1.2.1. La décentralisation au sens large et le développement| RETOUR AU SOMMET Dans son acception la plus large (voir figure 1), la décentralisation des pouvoirs politico-administratifs et socio-économiques signifie le passage des politiques de développement induites unilatéralement par lEtat à un système de concertation et de partenariat entre une multiplicité dacteurs dotés de compétences légalement et légitimement reconnues. Ces acteurs sont généralement organisés en cinq pôles : lEtat (pouvoir central), lentreprise (privée, publique ou mixte), la collectivité territoriale (région, province, commune et autre), lindividu/famille (communément appelé ménage ou particulier) et groupes (associations diverses). Ils ont chacun une spécificité propre et créent ensemble, par le biais de leurs interactions mutuelles, un profil de société tout aussi spécifique. Figure 1. Les principaux acteurs du système de production à léchelle nationale. Cas dun système idéalement décentralisé : les relations mutuelles des acteurs sont symétriques (adapté de Roger Brunet, "Le déchiffrement du monde", in Roger Brunet et Olivier Dollfus, 1990, Mondes nouveaux, Paris, Hachette/Reclus, Collection Géographie Universelle, p. 47)
Selon donc lampleur et la symétrie/dissymétrie de leurs relations mutuelles, lon a un système macro-social de production caractérisé par la prédominance plus ou moins perceptible de telle ou telle conjugaison dacteurs. * * * Dans le cas du Burundi, le profil macro-social de production hérité des régimes militaires tutsi est très largement dominé par un acteur : lEtat qui, non seulement concentre tous les pouvoirs politico-administratifs entre ses mains, mais domine aussi le pouvoir économique jusquà empêcher lémergence dune société civile et étouffer tout le potentiel de créativité tant à léchelle nationale quà léchelon local. Comme nous lavons souligné dans le dossier sur la "criminalisation socio-économique du pouvoir par la tyrannie politico-militaire tutsi au Burundi", le cas burundais est lexemple parfait dune centralisation totale du pouvoir dEtat et surtout dune criminalisation de celui-ci en matière de développement. Pour sortir de lornière, lon ne peut plus repousser davantage le processus de démocratisation et de décentralisation du pays qui, il faut le rappeler, libérera aussitôt lénergie, linitiative et la créativité individuelles et collectives.
1.2.2. La décentralisation au sens strict et la gouvernance| RETOUR AU SOMMET Dans une acception restreinte (voir figure 1), le concept de décentralisation du pouvoir dEtat exprime surtout le transfert de certaines compétences du niveau supérieur ou central (lEtat et ses agents nommés) vers le niveau local ou périphérique (la collectivité locale et ses agents élus) en passant par un ou plusieurs niveau(x) intermédiaire(s) de collectivité territoriale. Une fois réalisée, la décentralisation sensu stricto dote chacune de ces collectivités territoriales dune personnalité morale et dune autonomie financière spécifiques. Ce statut juridique a pour effet de reconnaître à la collectivité territoriale le droit de disposer dun patrimoine et de le gérer et, plus encore, de disposer de ressources et de les employer librement (au sens des lois et règlements en vigueur). La collectivité territoriale peut, ainsi, sadministrer librement. De même, les administrés peuvent connaître en temps réel aussi bien les avantages que les inconvénients et peser ainsi sur les décisions finales des projets ou des actions proposées. Toutefois, cela ne signifie pas la disparition dun pouvoir central car, si lEtat nassume plus directement certaines compétences lui antérieurement dévolues, il conserve néanmoins le droit de contrôle sans lequel la cohérence nationale serait compromise. Expérimentée en Europe occidentale depuis le début des années 70 généralement à partir dimpératifs économiques (meilleures impulsions économiques en vue dune meilleure répartition géographique des activités et de la croissance des richesses), la décentralisation sest avérée par la suite porteuse denjeux politiques (aide à la démocratisation de la collectivité nationale), denjeux financiers (meilleure mobilisation de ressources financières notamment par la fiscalité) et denjeux sociaux (meilleur partage de ces ressources entre lEtat et les collectivités territoriales en vue dune meilleure réponse aux besoins des populations). Figure 2. Lorganisation de ladministration territoriale du Burundi progressivement mise en place par les régimes militaires tutsi
Au Burundi, la structure administrative a été progressivement démultipliée par les régimes militaires tutsi jusquaux six échelons en vigueur aujourdhui : la nation, la province (ou la mairie dans le cas de lunique grande ville : Bujumbura), la commune, la zone, le secteur et la colline de recensement (voir figure 2). Le but nen était guère un processus de concertation efficace pour lélaboration et la mise en uvre des politiques de développement, mais un encadrement très performant de la population sur le plan fiscal et sur le plan sécuritaire. Cest pour cela dailleurs quen dessous de la colline de recensement, lon peut relever lexistence dunités "territoriales" supplémentaires telles que agacimbiri (localité) et nyumbakumi (groupement de dix ménages) sournoisement introduites pour les besoins dune surveillance politique encore plus rapprochée de la population. En outre, la centralisation des fonctions administratives a été renforcée à tel point que jusquaujourdhui, les autorités des divers échelons sont mises en place par nomination. "Ainsi, le chef de colline est désigné par ladministrateur communal (parmi les membres du comité élu par lassemblée générale de la colline) alors que le chef de zone est nommé par le Ministre de lintérieur. Quant au gouverneur de province et à ladministrateur communal, ils sont nommés par le Chef de lEtat sur proposition du Ministre de lintérieur, aussi nommé par lui". Enfin, la confusion entre les fonctions administratives et les fonctions partisanes est devenue absolue. * * * En termes de gouvernance, toute la hiérarchie administrative du Burundi nest redevable quà un homme : le Chef de lEtat. Le risque de voir les autorités administratives se mettre essentiellement à sa dévotion au détriment des intérêts du peuple burundais est alors devenu réalité. Doù, en effet, les travers gravissimes et récurrents surtout à partir de 1965 : ethnisme, favoritisme, népotisme, régionalisme, non respect des lois, non respect des libertés et des droits de lHomme, corruption, mauvaise gestion, déni de la démocratie, etc. Pour résorber cette mauvaise gouvernance, le CNDD-FDD est résolu à édifier une société fort imprégnée de subsidiarité notamment entre lEtat et deux niveaux de collectivité territoriale. Ainsi, lEtat ne détiendra plus le monopole des décisions en matières de politiques publiques et de politiques de développement. 1.3. Le partage effectif des compétences entre les acteurs 1.3.1. Les acteurs et leur articulation| RETOUR AU SOMMET Dans les pays décentralisés, la logique de la subsidiarité met généralement en interdépendance trois échelles spatiales : - léchelle macro-spatiale (collectivité nationale et/ou supra-nationale) qui assure essentiellement la coordination et lharmonisation du fonctionnement de la société ; Lon perçoit dès lors que les services collectifs rares ou peu fréquentés par la population, et partant économiquement plus onéreux, forment le bloc de compétences qui élit tout naturellement domicile au niveau de la province ou de la nation ; tandis que les services collectifs de fréquentation quotidienne par la population, et en principe plus économiquement accessibles, constituent le bloc de compétences qui est davantage lié à léchelle de la commune. Ce modèle darticulation tripartite généralement utilisé dans la décentralisation politico-administrative peut sappliquer au Burundi sous réserve cependant dune restructuration administrative du territoire en quatre niveaux : la nation, la province (ou la mairie en cas de grande ville), la commune et le secteur local (voir figure 3). Ainsi, par rapport à la situation actuelle, deux chaînons superflus sont à supprimer (la zone et la colline de recensement) et les entités territoriales dignes de la décentralisation sont la commune et la province auxquelles il faudra ajouter le secteur local pour un motif très particulier précisé plus loin. Figure 3. Proposition dune nouvelle organisation administrative du territoire burundais
Pour la commune et dans une moindre mesure la province, le projet du CNDD-FDD est, en quelque sorte, un juste retour aux sources car, entre 1960 et 1965, la commune était une entité territoriale fort décentralisée qui fonctionnait sur deux organes institutionnels pleinement reconnus par la loi (décret du 25 décembre 1959 amendé et précisé par lordonnance législative du 3 février 1961) : -(1) un conseil communal élu au suffrage universel direct pour un mandat de trois ans -(2) et un bourgmestre nommé par le Chef de lEtat (le Mwami) sur proposition du conseil communal qui en faisait le choix parmi ses membres, généralement celui qui avait obtenu le plus de suffrages. Quant aux compétences dévolues à la commune en articulation avec la province dans la première moitié des années 60, lon note les compétences dordre réglementaire, dordre fiscal, dordre budgétaire et dordre économique et administratif. - Sur le plan réglementaire, le conseil communal disposait de prérogatives assez étendues ; il faisait notamment les règlements communaux dadministration et de police sanctionnés par des peines nexcédant pas sept jours de servitude pénale et 200 FBU damende. Parallèlement, les attributions du bourgmestre laissaient apparaître dans ce domaine sa double qualité de délégué du pouvoir exécutif national au niveau de la commune et de représentant de celle-ci. Ainsi était-il chargé de lapplication des actes législatifs et réglementaires de lautorité supérieure et devait-il collaborer à laccomplissement des tâches dintérêt général lorsquil en était requis. De même, il signait les décisions et règlements communaux, veillait à leur exécution, dirigeait tout le personnel et tous les services de la commune (y compris les services financiers et de police) et pouvait incarcérer pendant 24 heures les personnes causant du désordre sur la voie publique. Il était même habilité, en cas durgence, à prendre des règlements de police, lesquels toutefois tombaient désuètes à défaut de confirmation par le conseil communal à sa plus prochaine réunion. Grâce au décret du 25 décembre 1959 et à lordonnance législative du 3 février 1961, le Burundi a connu, deux ans avant et trois ans après le recouvrement de son indépendance, un régime politico-administratif décentralisé. Au niveau de la commune, la participation populaire était garantie et les matières décentralisées étaient pertinentes mais limitées ; la retenue du législateur sexplique sans doute par la pénurie extrême des capacités techniques autochtones à cette époque. Par contre, au niveau de la province, les autorités responsables navaient pas de mandat populaire ; cétaient des fonctionnaires de tutelle directement nommés par le pouvoir central, soit pour assurer la transmission verticale des directives, soit pour exercer le contrôle a priori sur les actes économiques et fiscaux ainsi que sur le budget de la commune.
Vu le taux dillettrisme et le dénuement matériel extrêmes de la population burundaise, une proto-organisation de celle-ci au niveau infra-communal est nécessaire pour la préparer à la prise de ses responsabilités constitutionnelles au niveau de la commune et même au-delà. Doù la décentralisation de lentité communale en plusieurs secteurs locaux destinés à promouvoir chacun, notamment par le biais du mouvement associatif et du mouvement coopératif, lapprentissage social, politique, économique et culturel dans un cadre de proximité nettement plus approprié.
Le schéma de décentralisation du Burundi prôné par le CNDD-FDD met en interdépendance les quatre maillons déjà présentés à la figure 3 : la nation, la province, la commune et le secteur local. Du secteur local au sommet de lEtat en passant par la commune et la province, le peuple burundais devra désigner, directement par les élections au suffrage universel ou indirectement à travers ses représentants réunis en collèges électoraux, les principaux responsables politico-administratifs de ces différents niveaux. Pour le niveau du pouvoir central, la participation populaire est déjà inscrite, en termes délections présidentielles et délections législatives au suffrage universel direct, dans la constitution massivement adoptée par référendum le 9 mars 1992. Quant aux entités territoriales (la province, la commune et à titre supplétif le secteur local) que le CNDD-FDD compte ériger en unités décentralisées, le principe et les modalités doivent faire lobjet dun protocole daccord dans le cadre du traité de paix mettant un terme définitif à la guerre civile, puis être inscrits dans la constitution. De ce fait, la révision de la constitution doit prévoir trois conseils territoriaux représentant démocratiquement la population, non seulement dans la conception et la mise en uvre des programmes de développement, mais aussi dans la gestion courante des affaires publiques. Il sagit du conseil du secteur local, du conseil communal et du conseil provincial. Le secteur local (en milieu rural) ou le quartier (en milieu urbain) est une entité infra-municipale ou une succursale de la commune chargée dépauler celle-ci spécialement dans le domaine de la solidarité sociale : identification, recensement et assistance aux personnes en détresse sociale ou économique ; appui-conseil à lauto-organisation de la base notamment aux organisations caritatives, mutualistes, coopératives, professionnelles et culturelles. Son conseil, composé de sept personnalités (le président en même temps délégué au conseil communal, le secrétaire, le conseiller auprès de la cour dAbashingantahe chargée de trancher les litiges entre habitants du secteur local, le conseiller à laction sociale et aux organisations caritatives, le conseiller aux organisations mutualistes et coopératives, le conseiller aux organisations professionnelles et culturelles et le conseiller au développement économique et à lenvironnement), doit être élu au suffrage universel direct. La commune est pour le CNDD-FDD lentité de base de la structure politico-administrative du Burundi. Elle doit donc être le lieu dintégration par excellence entre les préceptes gestionnaires du sommet et les aspirations participatives de la base de toute la pyramide sociale du pays. Son conseil, composé de neuf membres (le président, le secrétaire et un conseiller par domaine de compétences communales) est élu au suffrage universel en même temps que lélection du conseil du secteur local puisque cest lensemble des présidents de celui-ci qui forme le conseil communal. Ceci implique un redécoupage de chaque commune en neuf secteurs locaux. Le président du conseil communal, élu par ses pairs, est alors proposé par le conseil à la nomination au poste de bourgmestre communal par le Président de la République. La province a pour mission de faire le lien administratif entre la commune et le pouvoir central, de contrôler a posteriori, au nom de lexécutif central, le respect des lois par la commune dans ses actes quotidiens, et dassurer lintermédiation dans la coproduction de projets ainsi que dans la passation et dans la gestion des contrats de partenariat ou de plan entre lEtat et la commune. De ce fait, le conseil provincial est dune part linstrument danalyses et de décisions socio-économiques portant sur lensemble des communes de la province, et dautre part le relais ou linstrument de communication entre les échelons national, provincial et communal. Ce conseil est le fruit du suffrage universel indirect car il est composé de lensemble des bourgmestres communaux. 1.3.2. Les compétences et leur répartition| RETOUR AU SOMMET Comme nous lavons laissé entrevoir à plusieurs reprises, seuls les services répondant aux besoins ou aux problèmes collectifs sont visés par cette méthode de rationalisation de lactivité politique. Les problèmes ou les services économiques individuels, qui sont (ou peuvent être) aisément pris en charge par le marché grâce à lappropriation privative des utilités et des désutilités échangées, ne sont donc pas concernés directement.
Dans létat actuel de la société burundaise, les besoins ou les services collectifs relèvent de sept domaines bien distincts : le domaine de léducation, le domaine de la santé, le domaine de la solidarité sociale, le domaine leau, le domaine de lénergie électrique, le domaine du transport et le domaine de laménagement du territoire. Le tableau 1 donne une répartition assez subtile de ces compétences entre la commune, la province et le pouvoir central. La commune doit désormais jouer un rôle important de gestionnaire de proximité ; elle doit fournir les équipements nécessaires à la vie de tous les jours : écoles maternelles et primaires, soins de santé primaires, adduction deau potable, assainissement du cadre de vie, collecte et traitement des ordures ménagères surtout en milieu urbain, entretien de la voirie locale, maîtrise de lutilisation du sol notamment lurbanisme et lagencement de lhabitat rural. Avec un poids démographique et une taille spatiale plus importante, la province est essentiellement titulaire des services hospitaliers, du transport entre centres et marchés communaux, de lenseignement secondaire général, technique et professionnel, de la protection de lenvironnement et de quelques infrastructures telles que les routes dintérêt provincial et les lignes de transport électrique en moyenne tension. La province est également investie des missions danalyse, de planification et de péréquation en matière de développement régional. Elle doit donc faire le suivi des composantes communales de ses programmes dincitation économique en vérifiant la pertinence et en permettant la comparaison entre communes des méthodes développées sur le terrain. Exception faite des hautes écoles, des universités, des hôpitaux universitaires, des hôpitaux mono spécialisés et des centres de recherche scientifique ou technologique, lEtat se réserve la réflexion et la planification en matières du développement national et de son intégration international. De ce fait, ses rapports avec les pouvoirs locaux doivent être bouleversés. Leurs actes et leurs comptabilités ne seront plus contrôlés a priori par un représentant de lEtat comme cest encore le cas aujourdhui (tutelle dautorisation), mais seulement a posteriori par des audits pour en vérifier la légalité (tutelle de contrôle). Pour ce qui est de larticulation des programmes dintervention, les passerelles sont prévues comme les contrats de plan ou de partenariat au développement entre lEtat et la province, et entre la province et la commune. Les transferts de compétences de lEtat aux collectivités territoriales sera par ailleurs assorti dun transfert équivalent de ressources par le biais de dotations de décentralisation, dun pouvoir fiscal et dun pouvoir dintervention en matière de crédit auprès détablissements financiers. Quant au rôle des acteurs économiques et sociaux (entreprises, syndicats et autres associations de la société civile), leur participation sera discutée dune manière plus concrète dans le chapitre suivant. RETOUR AU SOMMET | Chapitre II : Les grandes orientations socio-économiques de la reconstruction nationale 2.1. Le choix des orientations socio-économiques fondamentales| RETOUR AU SOMMET Opérer une combinaison efficace doptions socio-économiques fondamentales en vue damorcer le développement dune société aussi illettrée et aussi démunie sur le plan matériel et sur le plan organisationnel que la société burundaise nest pas un exercice facile. Pour stimuler notre réflexion dans ce domaine, nous avons examiné laventure industrielle du monde occidental au cours des deux derniers siècles sous langle de la dynamique des rapports sociaux relatifs à la mobilisation, à la transformation et à la redistribution des ressources matérielles. La figure 4 présente très synthétiquement létat actuel de cette longue évolution sous forme dune grille darticulation des acteurs, des objectifs, des stratégies et des résultats sociaux avec des infrastructures accumulées mieux connus sous lappellation anglo-saxonne de "social and spatial outcomes". Ce sont ces derniers qui forment lempreinte quasi indélébile de laccumulation et de la redistribution des ressources. Ils se déploient et saccumulent en effet sous forme déquipements techniques et de structures sociales (en un mot : des technostructures) de plus en plus modernes dans le cadre de vie quotidien et concrétisent ainsi le développement de "lintelligence organisée avec pouvoir de décision et capacité créatrice". Tel est le postulat sur lequel sappuie le dessein du CNDD-FDD de moderniser la société burundaise. Pour expliciter ce postulat, faisons intervenir, comme Michel Schooyans, le lien établi par John Kenneth Galbraith entre le développement technologique et la dynamique du pouvoir, lien créateur ou innovateur de la capacité organisatrice des rapports sociaux de production et dutilisation des ressources. Ce lien se décline ainsi : quelle que soit la période considérée du développement économique, "le pouvoir est lié à lagent de production le plus difficile à obtenir ou le plus difficile à remplacer".
A lépoque, en pays aujourdhui industrialisés, où la terre était en effet cet agent rare de production, le pouvoir régulateur des rapports sociaux était associé à la possession de la terre. Il en est résulté une législation visant à éviter le démantèlement des grandes propriétés terriennes, notamment par le droit daînesse. A ce moment, la main-duvre, abondante et bon marché, na pratiquement pas participé au pouvoir. Ainsi, la terre sest révélée être une source appréciable daccumulation de capital. Mais dans la suite, cest le capital qui devint le principal agent de production et, tandis que la main-duvre restait bon marché, le pouvoir sassocia à sa possession. Point nest besoin en effet de terrains de grande superficie pour établir des industries ; par contre, la mise en route de manufactures et dusines exige des fonds considérables. En une première phase, ceux-ci furent baillés par les entrepreneurs eux-mêmes ; dans la suite cependant, le développement de lentreprise amena lindustriel à faire de plus en plus appel à la banque. De la rencontre de lindustriel et du banquier naquit le capitalisme financier qui finit par avoir largement barre sur le pouvoir politique. La grille de la figure 4, qui résume linteraction continue des principales composantes au sein de cette formidable aventure industrielle, permet donc de constater que pour être cohérent, ce processus désormais dominant de construction des capacités technologiques, de développement industriel et de progrès social doit, corrélativement à leffort de structurer macrotechniquement lensemble du territoire et à celui dintégrer macrosocialement lensemble de la population (colonne du processus de production des biens et services et colonne du processus de répartition ceux-ci en fonction des besoins), ajuster les bases institutionnelles et technologiques de gestion du territoire et de ses ressources naturelles, dapprentissage et dinnovation ainsi que dépargne et dinvestissement (colonne de mobilisation des ressources). Ainsi se profile, dans ce cheminement de lOccident vers son développement socio-économique, un axiome sinon un postulat selon lequel le processus de construction des capacités technologiques et de développement économique sappuie sur trois maillons de technostructures incontournables pour vaincre sans cesse linertie sociétale et maintenir une certaine dynamique de changement dans la mobilisation sociale des ressources : -(1) les technostructures de gestion du territoire et de préservation de ses ressources naturelles, -(2) les technostructures dapprentissage et dinnovation, ainsi que -(3) les technostructures dépargne et de crédit sans lesquelles lesprit dinitiative ne peut être généralisé. Sans ces trois pôles de technostructures, il ne peut donc y avoir émergence déconomies externes ni transformation durable de la société. * * * Ce triplet axiomatique est donc, pour le CNDD-FDD, le cheval de bataille du développement du Burundi dès la fin du conflit actuel. Voilà pourquoi son dessein de reconstruction nationale repose sur trois pôles structurels de transformation sociétale : louverture du système éducatif moderne à tous les citoyens burundais, le développement de lesprit dinitiative sous-tendu par un système populaire dépargne et de crédit, et enfin la modernisation de la gestion du territoire. 2.2. Louverture du système éducatif moderne à tous les citoyens burundais 2.2.1. Le concept du système éducatif moderne| RETOUR AU SOMMET
Pour le CNDD-FDD, le système éducatif moderne est pris dans le sens dune imbrication de deux systèmes ou sous-systèmes sociétaux (le système éducatif sensu stricto et le système culturel) à cause du rôle synergique décisif quil entend donner à cette imbrication dans le processus de réconciliation nationale. Dans le domaine éducatif et culturel en effet, les régimes militaires tutsi ont poussé la marginalisation de la majeure partie de la société burundaise en deux directions : -(1) désinformation systématique et violence psychologique (ridiculisation, diabolisation et déshumanisation) à lendroit de lélite hutu dans tous les espaces médiatiques (radio, télévision, presse écrite et meetings hebdomadaires obligatoires du parti unique UPRONA) et -(2) élimination quasi intégrale des Hutu de larmée, de ladministration publique, des entreprises (qui sont essentiellement publiques) suivant un plan dextermination que René Lemarchand et David Martin ont appelé "génocide sélectif", lui-même accompagné pendant une vingtaine dannées de lexclusion drastique de nouvelles générations au sein du système éducatif ("génocide intellectuel"). Pour pouvoir traiter avec pertinence cette lourde fracture de la société burundaise, il est sans doute nécessaire de cerner le point de dérapage qui a occasionné cette fracture, à savoir le processus de promotion, de gestion et de transmission des valeurs et des idéologies face à la quête du pouvoir politique. En ses origines, comme encore aujourdhui dans les sociétés archaïques, le pouvoir politique se fonde dans le sacré et les comportements sont réglés par des interdits à caractère mythique ou religieux. Dans les sociétés modernes, largement ouvertes à la créativité humaine, lassise religieuse du pouvoir a substantiellement régressé. En Europe occidentale par exemple, la laïcisation des sociétés a, depuis le 18ème siècle, progressivement dilué la liaison entre le divin et le séculier si bien que le pouvoir politique est aujourdhui fondé sur un tout autre principe : celui de la volonté des citoyens ou la démocratie. Or tout principe fondateur du pouvoir politique (théocratie, laïcité, démocratie, ) correspond à un substrat culturel bien déterminé. Et par culture, il faut entendre lensemble de données qui forment la spécificité de la vie (ou lidentité) dune société : son système de valeurs, de prise de décisions, de connaissances techniques, "saisies dans leur processus de formation et de transmission ainsi que dans leurs traductions sociales et matérielles". Approché ainsi, comme un consensus social des humains toujours à refaire entre eux, le processus de production et de reproduction culturelles nest pas une facette du développement sociétal au même titre que le processus politique et le processus économique ; cest plutôt lui (le processus culturel) qui détermine le sens (dans les deux acceptions du terme : signification profonde et direction) des deux autres. Léon Cassiers considère à cet égard qu "une société est un système déchanges de désirs et de leurs satisfactions, toujours partielles, ( ). Cest de cette société déchanges réglés que le sujet reçoit son nom et son identité. Ce sont les parents, comme relais de cette société, qui accordent à lenfant le statut de sujet en lautorisant à se poser, comme énonciateur de lui-même, tendu comme le mythe de son autocréation. Le sujet humain dépend donc, pour être sujet, de lassentiment des autres humains". Par ailleurs, "une société naccorde pas à tous ses membres le statut de sujet au même degré de qualité et de sécurité. Le «pater familias» antique avait droit de vie et de mort sur ses enfants et sur ses esclaves. Ces derniers, et les femmes, ont mis quelques siècles à acquérir le droit à une âme. Toute société divise ses membres en castes qui se caractérisent par un accès plus ou moins assuré, non seulement aux biens matériels, mais aussi à lexistence comme sujet énonciateur dun discours efficace. Sans doute héritons-nous, actuellement, dun système démocratique fondé sur la déclaration des droits de lHomme, égalitaire pour tous en principe. Il sen faut encore dun long chemin cependant que ces principes deviennent réalité pour chaque humain". A travers ces considérations, il apparaît que le système éducatif moderne est à la fois un processus de formation, un processus de gestion et un processus de transmission de valeurs et didéologies, quon peut appeler aussi "processus de socialisation". Cest en fait le creuset dun pouvoir socio-culturel ou idéologique qui détermine les deux autres pouvoirs, à savoir le socio-politique et le socio-économique. Ce creuset est généralement constitué de deux pôles sociétaux interdépendants : -(1) le pôle ou le système dialectico-historique, centré sur la société civile, où se font et se défont sans cesse les réseaux éthico-politiques des sujets adultes et -(2) le pôle ou le système éducatif sensu stricto, organisé par les adultes à ladresse des jeunes (système scolaire, mouvements de jeunesse, rites dinitiation, ) pour reproduire longitudinalement le champ des connaissances et le champ des attitudes ou de léthique de la société. Le processus dialectico-historique de socialisation des sujets adultes renvoie à lapproche du développement daprès laquelle "les conflits entre les mouvements sociaux des classes constituent le principe dynamique du fonctionnement (et du changement) des sociétés". Daprès cette approche, lon oppose volontiers deux catégories de classes, "deux étages dune même superstructure" selon la célèbre expression du philosophe et homme politique italien Antonio Gramsci : la catégorie des classes gestionnaires et la catégorie des classes populaires. - La catégorie des classes gestionnaires ou des classes dominantes comprend lEtat (sa classe politique et sa classe technico-administrative) dune part, et dautre part la bourgeoisie dirigeante privée. Pour cette catégorie, le développement est avant tout une question de progrès technique sans lequel laccumulation des richesses (capitaux, biens de production, infrastructure, technologie) nest possible ; tandis que la satisfaction des besoins essentiels des populations (volet social du développement) va "percoler" vers la base et gagner progressivement des couches de plus en plus larges des classes populaires. Le caractère dynamique du processus dialectico-historique est fondé sur cette contradiction fondamentale entre les deux catégories : plus forte sera la divergence entre les deux points de vue, plus intense sera leur interaction dialectique génératrice de renouveaux idéologiques. Ceux-ci se marqueront alors dans la structure sociale par lémergence et/ou le développement dune société civile, cest-à-dire un ensemble dorganismes privés ou non gouvernementaux, dont les partis politiques et les syndicats sont les plus importants, et qui revêtent une multitude de formes idéologico-culturelles : associations civiques de défense des droits et des libertés de la personne humaine, églises, éditions de journaux, de revues et de magazines divers, clubs littéraires, mouvements de jeunesse, associations sportives, musicales, folkloriques, théâtrales, cinématographiques, etc. Et cest précisément au sein de ces organismes que se passent lélaboration et la diffusion des idéologies. Cest enfin à travers ces organismes que les classes dominantes négocient le consentement et ladhésion des classes subalternes à leurs projets de plan ou de partenariat ; ainsi que nous lavons indiqué en traitant du processus de décentralisation au premier chapitre. Le processus éducatif est le mode de socialisation des jeunes générations jusquà leur insertion dans larène dialectico-historique des adultes. Pour Pieter Batelaan et Jagdish Gundara, il est à la fois -(1) un instrument de qualification qui produit des ressources humaines pour le marché du travail et -(2) un instrument de démocratisation car, non seulement il prône au niveau du discours et généralement aussi au niveau des faits le principe dégalité des chances pour accéder aux institutions et aux professions existantes, mais il assure aussi le développement philosophique personnel. Il arme en effet le sujet face à la société en lui apprenant de manière ouverte et critique les valeurs et les normes des divers groupes sociaux ou culturels en présence. Ainsi, le processus éducatif permet au sujet dacquérir un savoir-faire et un savoir-être suffisants pour se réaliser dans la sphère des adultes. 2.2.2. Les réformes préconisées par le CNDD-FDD dans le domaine éducatif | RETOUR AU SOMMET Les deux attributs du processus éducatif cités ci-avant forment la toile de fond du projet porté par le CNDD-FDD dans le domaine éducatif sensu lato. En tant que pourvoyeur des ressources humaines pour le marché du travail, le processus éducatif du Burundi est dune très regrettable perfidie. Il cultive un élitisme exacerbé jusquaux pratiques dexclusions ethnistes et régionalistes. Il fonctionne aussi sur linadéquation avec la réalité socio-économique du pays en ce sens que seules les filières bureaucratiques sont encouragées pendant que le travail agricole, professionnel et technique est non seulement dévalorisé économiquement, mais aussi déconsidéré socialement et culturellement. Une réforme profonde de lenseignement est donc nécessaire. Celle-ci doit être focalisée sur ladéquation formation/emploi compte tenu des opportunités socio-économiques nouvelles dont ce dessein de reconstruction nationale est porteur aussi bien pour léconomie rurale que pour léconomie urbaine du pays. En dautres termes, le CNDD-FDD doit extirper de la mentalité burundaise cette conviction aberrante que le seul travail qui vaille est lemploi bureaucratique. Il doit par conséquent inculquer aux générations nouvelles que le travail bien fait, quel que soit le secteur considéré, accroît la richesse nationale et promeut la personne qui lexerce. - Le premier objectif dune telle réforme est léradication de lillettrisme en assurant la scolarisation fondamentale à tous les enfants en âge de lêtre et en instaurant un système dalphabétisation fonctionnelle des millions dadultes que tous les gouvernements ont jusquici laissé pour compte.
En tant quinstrument de développement philosophique individuel et de démocratisation de la société, le processus éducatif du Burundi est dune navrante perversité : lévolution de la société burundaise est depuis longtemps truffée de falsifications, de dissimulations et de manipulations à grande échelle ; et ce sont des contrevérités qui sont véhiculées dans le discours diplomatique, dans les médias et pour finir dans les manuels scolaires. Les Burundais ont à cet égard besoin dêtre réconciliés avec eux-mêmes ; cela exige une double démarche. - Dun côté (celui des oppresseurs), il faut bien évidemment accepter dassumer lhistoire du pays telle quelle sest passée dans ses phases calmes comme dans ses phases tumultueuses et tragiques. Quoiquil en soit, le temps dun obscurantisme orchestré par le pouvoir politique est compté. * * * Cette double démarche nest possible que si un processus sérieux de négociation de paix est engagé de manière irréversible et quau bout du compte un traité de paix équitable est établi. Subséquemment, une société civile authentique et diversifiée peut prendre racine au Burundi et y assurer la libre circulation des valeurs humaines universellement reconnues ainsi que des innovations idéologiques. Mais le rôle de réconciliation nationale que confère le CNDD-FDD à la société civile ne sarrête pas aux seuls volets politiques et culturels, il est également prégnant dans le domaine économique. Cest ce que la section suivante sefforce démontrer. 2.3. Le développement de lesprit dinitiative sous-tendu par un système populaire dépargne et de crédit| RETOUR AU SOMMET La perversion socio-économique du pouvoir sest, faut-il le rappeler, principalement traduite par un profil macro-social de production très largement dominé par un acteur : lEtat qui, non seulement concentre tous les pouvoirs politico-administratifs entre ses mains, mais domine aussi le pouvoir économique jusquà empêcher lémergence dune société civile et étouffer tout le potentiel de créativité tant à léchelle nationale quà léchelon local. Ce faisant, le pouvoir a systématiquement filtré laccès au secteur moderne de lactivité en maintenant léconomie du pays dans létat de traite agricole coloniale. Cela eut alors pour conséquence la ruine de lagriculture paysanne ainsi quun blocage drastique de lesprit dinitiative locale malgré les politiques, sans doute cosmétiques, de promotion économique et sociale en faveur des PME et des coopératives ostensiblement déployées par les gouvernements qui se sont succédés depuis la dernière décennie du régime colonial jusquà nos jours. Au-delà de la révision du rôle économique tentaculaire de lEtat que nous avons déjà implicitement proposée dans la politique de décentralisation des compétences, deux catégories de mesures susceptibles de retourner la situation soffrent à lesprit : la réforme de lencadrement des PME et des coopératives ainsi que la valorisation du potentiel financier local par le biais dune mobilisation populaire de lépargne et dune distribution tout aussi populaire du crédit. 2.3.1. La réforme de lencadrement des PME et des coopératives| RETOUR AU SOMMET Dans la situation actuelle, trois catégories dacteurs assurent la promotion et lencadrement de lentrepreneuriat populaire : quelques missions chrétiennes depuis la fin des années 50, le Département des coopératives depuis la fin des années 70 et les ONG depuis lentrée en scène du concept de coopération décentralisée (fin des années 80). Lefficacité des missions chrétiennes en la matière est reconnue. Laction du Département des coopératives est non seulement inefficace mais aussi nuisible. Quant aux ONG expérimentées, cest la non durabilité de leurs réalisations qui pose problème. Pour le CNDD-FDD, la promotion et lencadrement de lentrepreneuriat populaire doivent sortir du service public et être confiés aux associations à objectifs socio-économiques à condition que celles-ci sorganisent en deux structures appropriées à cette mission : Centre national dappui aux PME (CNAP) et Centre national dappui aux coopératives (CNAC). Et au sein de cette mission, il est important, contrairement à la pratique actuelle, de faire la distinction entre les actions humanitaires qui sont de nature ponctuelles et totalement gratuites pour les bénéficiaires, et les services de formation pour le développement qui seraient à charge des groupements bénéficiaires. Pour illustrer le processus, prenons le cas du Centre national dappui aux coopératives. Idéalement, ce sont les ONG dont lefficacité est avérée dans le secteur coopératif qui devront se concerter pour ériger cette structure. Son cahier des charges comprendra au moins trois séries de tâches : la recherche-documentation coopérative, la formation à lentrepreneuriat coopératif et lappui-conseil aux coopératives. - La recherche-documentation coopérative comprend trois volets. Il y a dabord constitution dun patrimoine-bibliothèque (ouvrages, revues, monographies du Burundi ou de létranger) de nature en tout cas à éclairer la lanterne du CNAC. Il y a ensuite la recherche appliquée focalisée sur lhistoire du mouvement coopératif, sur lidentification des associations coopératives ou pré coopératives qui naissent actuellement dans le pays ainsi que sur létude prospective, par le biais denquête-participation, de leur évolution. Il y a enfin publication des résultats de ces recherches. Pour assurer la durabilité au processus, le financement du CNAC, tout comme celui du CNAP, doit être assuré par deux sources principales (la rétribution des services rendus et les subventions) dont les proportions doivent évoluer inversement au fil des ans. Autrement dit, les subventions seront prédominantes dans les années du lancement du projet pour diminuer progressivement et devenir insignifiantes à la maturité du projet (après une dizaines dannées par exemple) ; lévolution est exactement inverse pour la rétribution des services rendus. Parmi ceux-ci, il faut noter dabord la possibilité de contrats divers (étude critique de lhistoire du mouvement coopératif, recensement des associations coopératives ou précoopératives ) avec lEtat, les collectivités territoriales ou autres tiers. Il faut noter ensuite les cycles de formation des coopérateurs, lorganisation de séminaires sur léconomie sociale, lorganisation de recyclages, etc. Il faut noter enfin lappui aux coopératives en matière de crédit et en matière de commercialisation. Quant aux subventions, il y a tout naturellement lintervention financière de lEtat et/ou des collectivités territoriales par le biais de contrats de partenariat ou de plan. Il peut y avoir aussi des contrats de coopération décentralisée avec des organismes financiers étrangers ou internationaux. 2.3.2. La promotion dun système populaire dépargne et de crédit| RETOUR AU SOMMET Comme nous venons de lexpliquer ci-avant, la clé du succès dans le développement de lentrepreneuriat coopératif est la participation volontaire de la population concernée. Le paramètre le plus pertinent dune telle implication populaire est sa participation financière au projet. Notre projet dappui au développement de lesprit dentreprise naura donc réussi, pour reprendre ces formules magiques de Guy Bédard, que lorsque les flux d "argent chaud" (lépargne paysanne) auront entièrement remplacé les flux d "argent froid" (les subventions). Doù le caractère impératif dentreprendre, parallèlement au projet dappui à lentrepreneuriat coopératif, un projet spécifique de mobilisation coopérative de lépargne et de distribution du crédit surtout en milieu rural (95% de la population) où aucune banque na jamais cherché à simplanter, exception faite du projet COOPEC (Coopératives dépargne et de crédit) initié et subventionné par le Crédit Mutuel français depuis 1984. Nous nen avons hélas pas suffisamment dinformation pour en faire une évaluation critique et un modèle pédagogique ; cest pourquoi lexpérience rwandaise des banques populaires est utilisée pour illustrer notre propos sur la promotion dun système populaire dépargne et de crédit. Vu le succès réalisé par le modèle coopératif allemand (également répandu en Suisse) des Caisses Raiffeisen depuis son implantation au Rwanda en 1974 sous la formule de "banques populaires", il est fondé de penser que le modèle peut également fonctionner au Burundi moyennant certains accommodements aux réalités locales comme lon fit à lépoque pour le projet des banques populaires au Rwanda. Dans ce projet, la structure pressentie demblée pour lensemble de linstitution et progressivement mise en place comprend trois niveaux : un réseau de banques populaires locales liées entre elles, par le biais de lintercoopération, en fédérations ou délégations régionales et en union nationale. Chacune des banques populaires locales se caractérise par une aire de desserte strictement limitée à un tout petit territoire (2 km de rayon à peu près) car la gestion, essentiellement bénévole, sappuie sur un très fort sentiment didentité locale ou, en dautres termes, sur les liens de proximité entre les membres. Cette restriction spatiale est singulièrement judicieuse dans lattribution des crédits car, plus élevée est la proximité, mieux connue est la probité des requérants. Mais elle entraîne, à cause du souci quon sest fait datténuer la frustration des interstices provisoirement exclus, la distinction de deux types dutilisateurs dune banque populaire locale : les sociétaires ordinaires (sociétaires de pleins droits) et les sociétaires affiliés. Pour être sociétaire ordinaire, lon doit impérativement être résident de ce territoire de desserte ordinaire, avoir plus de 18 ans pour les personnes physiques et souscrire à une ou plusieurs parts sociales -rémunérée(s) à 5%- ; aussi, un membre ordinaire peut déposer à titre personnel un montant illimité dépargne -rémunéré à 3%- dans sa banque populaire locale. En revanche, peut être sociétaire affilié toute autre personne résidant en dehors du territoire de desserte ordinaire qui accepte de souscrire à une et une seule part sociale rémunérée également à 5%. Avec ce statut de sociétaire affilié, lon ne peut jouir que du seul service de dépôt dépargne (avec intérêt de 3% comme les autres) et de retrait, sans accès donc au crédit. Le taux dintérêt sur le crédit étant de lordre de 11%, la marge de 8% est normalement suffisante pour atteindre lautonomie financière dans les délais impartis ; le programme des subventions suisses (la Suisse ayant accepté en 1972 de soutenir financièrement le projet) prévoyait en effet ceci pour stimuler la marche vers lautonomie financière. Dès son ouverture, chaque banque locale bénéficie dune couverture diachroniquement dégressive de ses frais de fonctionnement : 100% la première année, 80% la seconde, 60% la troisième, 40% la quatrième, 20% la cinquième et 0% à partir de la sixième. Si donc au bout de cinq ans dexercice la banque locale na pas réussi à équilibrer ses comptes, elle doit fermer. En ce qui concerne lunion nationale, lappui financier de la coopération suisse navait pas fixé a priori de butoir précis ; il allait sans doute se poursuivre jusquà ce que le bilan entre les produits et les charges soit bénéficiaire ou équilibré de manière irréversible. Avec trois organes qui se partagent le pouvoir (lassemblée générale des sociétaires ordinaires, le conseil dadministration et le conseil de surveillance), une banque populaire locale fonctionne comme une coopérative classique. Lassemblée générale y est donc lorgane suprême qui se réunit au moins une fois lan, et qui délègue par élection une partie de son pouvoir au conseil dadministration et de surveillance. Outre la gestion courante de la banque quil assure avec quelques employés sous ses ordres, le conseil dadministration décide aussi de ladhésion de nouveaux membres et de loctroi des crédits aux sociétaires ordinaires. Quant au conseil de surveillance, composé de ses cinq membres élus sur base de leur compétence notamment dans lanalyse des bilans, il contrôle périodiquement la rectitude de la gestion. Ces fonctions dadministration et de surveillance sont bénévoles ; seuls les employés (généralement un gérant et une sentinelle) sont rémunérés. Enfin, en dehors des rémunérations des parts sociales et des dépôts, la prise de dividendes est prohibée. Les excédents sont versés à la réserve de fonds propre ou dévolus aux actions sociales de formation des élus et des coopérateurs, ainsi quà la diffusion de lidéologie coopérative. Après 20 ans de fonctionnement du projet, chaque commune du Rwanda (145 au total) avait au moins une banque populaire locale. Aussi, lon avait constaté que les milieux populaires du Rwanda savent épargner, mais quils ne savent pas tirer suffisamment profit de leur épargne pour déclencher le processus daccumulation en recourant au crédit. Par rapport au premier objectif (la collecte de lépargne populaire), ce fut donc un franc succès pour les banques populaires ; mais par rapport au second (distribution du crédit dans les mêmes milieux), les banques populaires restent encore dans linsuccès. 2.4. La modernisation de gestion du territoire et de préservation de ses ressources | RETOUR AU SOMMET La gestion étant la conduite dun système social afin datteindre les objectifs qui lui ont été fixés en tirant le meilleur parti des ressources disponibles, la gestion du territoire (notion qui correspond à celle de land use dans la terminologie anglo-saxonne), consiste alors à réaliser la meilleure utilisation possible de ses ressources pour atteindre les objectifs que sest fixés la collectivité humaine détentrice de ce territoire. Ainsi la gestion du territoire a pour préoccupation majeure, dans un contexte économique et culturel déterminé, loptimisation des interdépendances entre la base des ressources, les activités humaines et les revenus générés par celles-ci. Il sagit en fait didentifier puis de réaliser de façon optimale les étalements et les regroupements spatiaux dactivités pour favoriser la fonction de production, tout en ménageant les ressources dans lintérêt des générations présentes sans sacrifier ou compromettre pour autant celui des générations futures (critère ou objectif fondamental dune gestion durable de lenvironnement daprès le Rapport Brundtland). Il y a donc en perspective des problèmes délaboration et de choix de stratégies, de production ou dadoption de technologies appropriées à ces stratégies, de conflits et darbitrages dintérêts, pour trouver la meilleure réponse spatiale aux besoins ou aux objectifs sociétaux à satisfaire. Dans le cas du Burundi, la modernisation de la gestion du territoire est désormais incontournable car les conflits dans ce domaine sont de plus en plus graves et répandus : conflictualité croissante dans lévolution des rapports écologiques et démographiques, conflictualité croissante dans lévolution des rapports juridiques et sociaux et conflictualité croissante dans lévolution des rapports daménagement et dutilisation.
A tous ces conflits structurels quon pourrait globalement qualifier de problèmes daménagement du territoire, le CNDD-FDD propose un ensemble de solutions durables, cest-à-dire structurelles en ce sens quelles visent la refondation de ces séries de rapports entre la population et la base des ressources. La figure 5 présente très synthétiquement ces solutions articulées autour dun objectif global (édification dun tissu économique et social bien intégré et performant) lui-même composé de deux objectifs spécifiques (développement dun réseau urbain cohérent et développement des zones rurales en synergie avec celui des zones urbaines). Dans le cadre de cette esquisse de reconstruction nationale conçue pour laprès-guerre, nous ne pouvons évidemment détailler le contenu de chacune des politiques structurelles proposées à la figure 5 ; des travaux portant "politiques sectorielles de la reconstruction nationale" y pourvoiront dans une étape ultérieure. Ceux-ci doivent jeter les bases dun projet de code daménagement et de développement du territoire et fournir les outils indispensables à une gestion efficace et durable des ressources naturelles : plan général dutilisation du sol, plans et directives durbanisme, agencement général et directives de lhabitat rural, directives en matière de pollution, directives en matière despaces et despèces protégés, etc. Ce projet de code daménagement et de développement du territoire doit en outre préciser les marges respectives dintervention des citoyens, des communes, des provinces, et de lEtat dans ce domaine.
La société burundaise est en plein désarroi car, dune part, le peuple burundais a largement pris conscience dun avènement inéluctable de vrais changements démocratiques et dautre part, le régime militaire tutsi sessaie depuis de longues années à de subterfuges de transition qui nadmettent que quelques retouches cosmétiques sur ses monopoles politique, économique et militaire. Or le CNDD-FDD est totalement opposé à ces subterfuges ; et il vient de le préciser en publiant deux manifestes complémentaires dans le sens de ce proverbe oriental : "si tu veux aller quelque part, commence par te demander doù tu viens". Dans un premier manifeste traitant de la "Criminalisation socio-économique du pouvoir par la tyrannie politico-militaire tutsi au Burundi", le CNDD-FDD exhorte la société burundaise, aujourdhui désemparée et déchirée, à mieux appréhender ses propres problèmes en jetant un regard critique sur son vécu, notamment sur la falsification et le non-dit orchestrés par les régimes militaires tutsi depuis très longtemps aussi bien dans le domaine politique, dans le domaine éducatif que dans le domaine économique.
Dans un autre manifeste intitulé "Profil de la société burundaise de laprès-guerre ou esquisse de la philosophie politique du CNDD-FDD", trois séries de remèdes capables de redresser la société burundaise sont proposées.
Pour avoir tiré la sonnette dalarme sur les folies exercées trop longtemps par la tyrannie politico-militaire tutsi sur notre pays et en proposant un plan stratégique qui incarne sa propre philosophie politique, le CNDD-FDD cherche avant tout à rallumer la confiance des Burundais en eux-mêmes pour les amener ensemble à relever le défi. Il convient de remarquer à cet égard que le CNDD-FDD a déjà réalisé plus de la moitié du chemin à parcourir car, les défis ont dores et déjà été magistralement convertis en lignes de forces : organisation dune résistance politico-militaire efficace, implication dans un processus sérieux de négociation de paix, appel incessant au rassemblement des vrais démocrates au-delà des clivages ethniques et régionaux, préparation active du dossier de reconstruction nationale dans laprès-guerre, etc. Le CNDD-FDD cherche aussi à sceller un pacte de confiance et de solidarité avec la communauté internationale en réitérant, avec plus de clarté, les SOS du peuple burundais que le monde refuse dentendre depuis 1965 jusquà ce jour, comme si tous les humains cautionnaient les folies flagrantes de ceux que Marc Manirakiza (Tutsi, ancien Ministre des affaires étrangères et ancien fonctionnaire des Nations Unies) a qualifiés justement en 1997 de "techniciens impunis du crime et du génocide". RETOUR AU SOMMET | Notes de référence
|